Si le titre vous donne
mal au crâne rien qu’à le lire, ne vous inquiétez pas, cela
reste un sujet très simple mais néanmoins intéressant. On aime à
profusion parler de la société coréenne comme une société
pétrie par le confucianisme et la domination masculine. La plupart
des articles sur la place de la femme en Corée dessinent une
condition où il fait toujours mieux d’être gentille et soumise
au pays du matin calme. Malgré l’homogénéité ethnique de la
péninsule, la Corée sait se diviser, être plusieurs et offrir
plusieurs aspects, notamment au niveau des femmes.
L’on retrouve dans les
récits mythologiques proto-européens le concept de la Déesse Mère,
une femme fertile qui a conçu les hommes et le peuple des hommes. Ce
symbolisme tend à se multiplier avec l’apparition de l’agriculture
: on a besoin d’un dieu pour les champs, les morts, la nuit, le
jour … Ainsi apparaissent les religions polythéiste. Mais ce qu’il
faut retenir, c’est qu’à la base c’est une femme qui a façonné
le concept.
En Corée, le mythe
fondateur du royaume de Kô-Chôson (고조선) a déjà une autre saveur. Pour
expliquer vite fait l’histoire, le fils du dieu du Ciel s’ennuie
ferme sur Terre. C’est alors que viennent à lui un ours et un
tigre. Ils veulent devenir des hommes ! Pas de problème, à
condition qu’ils ne mangent que de l’armoise et de l’ail en
restant pendant 100 jours dans une grotte. Le tigre craque (et
restera ad vitam aeternam la figure de pleutre et couard qu’il est
en Corée) et l’ours est transformé comme promis en femme.
Ensemble ils eurent Tangun (탄군), connu comme étant le premier coréen.
Voilà ce que tout coréen vous dira quand vous lui demanderez
l’histoire non officielle du pays.
Mais une île qui
résiste encore et toujours à l’envahisseur a décidée pour elle
toute seule d’avoir sa propre mythologie, et même ses mythes
fondateurs ! Située à 80km de la côte sud, Jeju (재주) est vraiment
une Corée à part. L’île est une terre de chamanisme et on y
croise un peu partout les grands-pères de pierre (돌 하르방 - dol hareubang),
protecteurs sympathiques à tête de champignon. On y trouve aussi la
plus grande montagne de Corée, le Hallasan, ancien volcan éteint à
l’origine de l’île.
Dans la croyance locale,
c’est une déesse plutôt qu’un volcan à l’origine de l’île
(même si l'un est l'autre ce confonde, qu'on le prenne du point de
vue géologique ou mystique). Après le mythe de Déesse Mère et son
abandon à l’arrivée de l’antiquité tardive, les mythes
créationnistes se tournaient plutôt vers un dieu omnipotent ou un
couple fertile (assez souvent caractérisé par l’union du ciel et
de la terre). Mais à Jeju c’est donc une femme qui s’occupe de
cette tâche, Seolmundae Halmang (설문대할망). Pour créer une île au milieu de
la mer, balayée par les vents, il en faut du caractère et des
habitants au tempérament bien trempé (à côté, Dieu et son Eden,
c’est un petit joueur). Ce serait l’une des explications de la
force des femmes locales et du respect qu’on leur doit. Quand je
vous disais qu’on allait y arriver au matriarcat !
Comme dit plus haut,
Jeju est une terre de déesses et de dieux (ce qui donne à peu près
9 dieux/km²) et emprunt depuis toujours de chamanisme. Le
confucianisme, en tant que religion et principe de base de la
société, s’est infiltré en Corée depuis la Chine mais ne
s’enracina jamais véritablement sur Jeju malgré les nombreuses
tentatives des gouvernements de Séoul. Le chamanisme reste encore
aujourd’hui une religion de femme, maîtrisée par les mudangs, ces
chamans capables de parler avec les esprits afin de réclamer leurs
bienveillances, les faire fuir ou réclamer des comptes à Mère
Nature. Mais plus encore que cet accès à la vie religieuse, les
femmes de Jeju ont toujours eu accès à la vie civile de l’île.
Organisées et liées, elles sont à l’origine en 1932 du plus
grand soulèvement à l’encontre des colonisateurs japonais de
l’histoire moderne.
Et bien sûr, on ne peut
parler des femmes de Jeju sans accorder un regard aux haenyos (해녀), les
sirènes plongeuses en apnée. Elles partagent ce métier avec les
amas japonaises (dont la déesse créatrice est Amaterasu, vous
suivez ? que des nanas !), à plonger autant que possible
avec une simple combinaison de plongée. Alors que la tradition
confucéenne confine la femme aux tâches ménagères et à la
régence familiale entre quatre murs, le besoin de subsistance sur
une île éloignée a poussé les femmes à sortir des maisons et
gagner leurs propres pitances. Quand les hommes sont devenus des
agriculteurs (notamment dans les plantations d'oranges et de
mandarines qui font la renommés de l'île), les femmes se sont
tournées vers la mer. Déesse des eaux et de la mer, Yeongdeung
Halmang (영등할망) protège comme un Poséïdon (avec des seins) les eaux de
l'île et les plongeuses qui viennent y pêcher. Mieux organisées
qu’une corporation, le métier de plongeuse s’enseignait depuis
toute petite (les fillettes accompagnant leurs mères durant la
plongée). Mais face au développement technologique, social, la
pression des études et la désuétude de cette activité, les
haenyeos deviendront bientôt des personnalités en voie de
disparition.
Autant de femmes au
caractère trempés qui n’aiment pas se laisser faire par leurs
maris. Le dernier reportage sur la question (diffusé sur Arte le
mois dernier, Sirènes de Corée) montrait un époux avouant
avoir plus peur de sa femme que de ses fils. Tout est dit.
Les
femmes de Corée seront toujours plus fières, plus résistantes sur
l’île de Jeju. Mais cela ne les rends que plus effrontés que
leurs concitoyennes du continent, pas forcément plus respectés. Les
habitants de Jeju eux même avaient abandonnés leur déesse mère
après son refus de construire un pont entre l’île et le
continent.
Sources : Jeju Weekly, Jeju Province.
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